datos de las manos que teclean
El tacto (de Renée Vivien)
A un traducteur d'Homère
Victor Hugo (Litterature et Philosophie melées)
(Versión libre en español por Gabriela Marrón)
Los grandes poetas son como las grandes montañas: generan muchos ecos. Sus cantos se repiten en todas las lenguas, porque su nombre se encuentra en boca de todos. Y Homero, incluso más que los demás, debe a su inmenso renombre el privilegio o la maldición de poseer una multitud de intérpretes. En todos los pueblos, incapaces copistas e insípidos traductores han desfigurado sus poemas; y desde Accius Labeo, que exclamaba:
Crudum manduces Priamum Priamique puellos; «Que manduques crudo a Príamo y sus hijos»;
hasta aquel valiente contemporáneo de Marto que le hacía decir al cantor de Aquiles:
Lors, face à face, on vit ces deux grands ducs Piteusement sur la terre étendus; «Entonces, frente a frente, se ven ambos duques piadosamente tendidos en tierra»;
desde el siglo del gramático Zolá hasta nuestros días, es imposible calcular el número de pigmeos que han intentado, uno tras otro, levantar la masa de Hércules.
Hágame caso, no se mezcle con esos enanos. La traducción suya se encuentra todavía en borrador, usted tiene la suerte de estar aún a tiempo de quemarla.
¡Una traducción de Homero al francés, en versos! Es monstruoso e insostenible, señor. Le garantizo, a conciencia, que me indigna su traducción.
No voy a leerla, por cierto. Prefiero ahorrarme el placer. Declaro que una traducción en versos, sin importar quién sea el autor traducido, ni quién la haya hecho, me parece una cosa absurda, imposible y quimérica. Y algo conozco del tema yo, que he rimado en francés (y lo había ocultado cuidadosamente hasta hoy) cuatro o cinco mil versos de Horacio, de Lucano y de Virgilio; yo, que sin duda se bien todo lo que pierde un hexámetro cuando se pasa a un alejandrino.
¡Pero Homero, señor! ¡Traducir a Homero !
¿No sabe usted que la sencillez de Homero ha sido siempre el escollo de sus traductores? Madame Dacier hizo de ella algo trivial; Lamotte-Houdard, una cosa árida; Bitaubé, un texto estúpido. François Porto dice que se necesitaría ser un secundo Homero para elogiar dignamente al primero. ¿Quién habría que ser entonces para traducirlo?
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A un traducteur d'Homère Victor Hugo (Litterature et Philosophie melées) Les grands poëtes sont comme les grandes montagnes, ils ont beaucoup d'échos. Leurs chants sont répétés dans toutes les langues, parce que leurs noms se trouvent dans toutes les bouches. Homère a dû, plus que tout autre, à son immense renommée le privilège ou le malheur d'une foule d'interprètes. Chez tous les peuples, d'impuissants copistes et d'insipides traducteurs ont défiguré ses poëmes ; et depuis Accius Labeo, qui s'écriait:
Crudum manduces Priamum Priamique puellos; «Mange tout crus Priam et ses enfants»;
jusqu'à ce brave contemporain de Marot qui faisait dire au chantre d'Achille:
Lors, face à face, on vit ces deux grands ducs Piteusement sur la terre étendus;
depuis le siècle du grammairien Zoïle jusqu'à nos jours, il est impossible de calculer le nombre des pygmées qui ont tour à tour essayé de soulever la massue d'Hercule.
Croyez-moi, ne vous mêlez pas à ces nains. Votre traduction est encore en portefeuille ; vous êtes bien heureux d'être à temps pour la brûler.
Une traduction d'Homère en vers français! c'est monstrueux et insoutenable, monsieur. Je vous affirme, en toute conscience, que je suis indigné de votre traduction.
Je ne la lirai certes pas. Je veux en être quitte pour la peur. Je déclare qu'une traduction en vers de n'importe qui, par n'importe qui, me semble chose absurde, impossible et chimérique. Et j'en sais quelque chose, moi, qui ai rimé en français (ce que j'ai caché soigneusement jusqu'à ce jour) quatre ou cinq mille vers d'Horace, de Lucain et de Virgile ; moi, qui sais tout ce qui se perd d'un hexamètre qu'on transvase dans un alexandrin.
Mais Homère, monsieur! traduire Homère!
Savez-vous bien que la seule simplicité d'Homère a, de tout temps, été l'écueil des traducteurs? Madame Dacier l'a changée en platitude ; Lamotte-Houdard, en sécheresse ; Bitaubé, en fadaise. François Porto dit qu'il faudrait être un second Homère pour louer dignement le premier. Qui faudrait-il donc être pour le traduire?
Tirade des Nez
Cyrano de Bergerac, Acte 1, scène IV, por Edmond Rostand
(versión libre en español por Gabriela Marrón)
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CYRANO (imperturbable)
¿Esto es todo?
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VIZCONDE
Pero...
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CYRANO
¡Pero no, te quedás corto, muchacho! Si se podrían decir, no sé, por Dios... ¡tantas cosas! Variando el tono, por ejemplo. Fijate.
Agresivo: Señor, si yo tuviera una nariz así, me la tendría que amputar sobre el piso.
Amistoso: ¡Pero si se le debe caer adentro de la taza!. Hágase fabricar un recipiente a la altura de las circunstancias.
Descriptivo: ¡Es una roca! ¡Es un pico montañoso! ¡Es un cabo! ¿Un cabo dije? ¡Si es una península!
Curioso: ¿Para qué le sirve esa cápsula oblonga? ¿De escritorio, señor? ¿O como estuche para las tijeras?
Gracioso: ¿Tanto ama usted a los pájaros que tan paternalmente se preocupa por extenderle ese pescante a sus pequeñas patitas?
Truculento: Señor, ¿ningún vecino se queja por el fuego de la chimenea cuando usted fuma y el humo del tabaco le sale por la nariz?
Consejero: Tenga cuidado, no vaya a caerse al suelo con la cabeza cargada por ese peso.
Tierno: Hágale una sombrillita, para que el sol no le opaque el color.
Pedante: El único animal que debe de tener en la frente tanta carne sobre tanto hueso es el que Aristófanes llama hipocampoelefantecamello.
Caballero: ¿Qué pasa, amigo, está de moda ese gancho? Debe ser verdaderamente muy cómodo para colgar el sombrero.
Enfático: Excepto el mistral, ningún viento puede resfriarte completa, nariz fenomenal.
Dramático: ¡Cuando sangra es el Mar Rojo!
Admirado: ¡Qué cartelito para una perfumería!
Lírico: ¿Es una concha de nácar? ¿Es un tritón usted?
Inocente: ¿Cuándo se puede visitar ese monumento?
Respetuoso: Permítame, señor, que lo felicite: ¡eso es lo que se llama tener un chalet en las afueras!
Campesino: ¡Pá! ¡Mirá! ¿Es una nariz? Nah, es algún tipo de nabo gigante o alguna clase de melón enano.
Militar: ¡Apunte la nariz en las primeras filas!
Práctico: ¿No la quiere sortear en la lotería, señor? Sin duda ganarla sería sacarse la grande.
Y, qué se yo... a lo mejor parodiando a Píramo, entre sollozos: ¡Allá está la nariz que ha destruido la armonía de los rasgos de su dueño! ¡Se sonroja la traidora!
-Ahí tenés lo que más o menos me hubieras dicho, muchacho, si tuvieras un poco de espíritu y algunas letras. Pero de espíritu jamás tuviste ni un átomo, sos un ser lamentable. Y letras tenés solamente las ocho que forman la palabra “estúpido”. Tanto te falta la creatividad necesaria para decirme, ante estas nobles galerías, esos delirantes insultos de los que ni siquiera pudiste articular la cuarta parte de la mitad del comienzo del primero, que me los tuve que decir yo mismo con un poco de elocuencia. Pero te aviso que no permito que nadie más me los diga.
Fuente
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Tirade des Nez
Cyrano de Bergerac, Acte 1, scène IV, por Edmond Rostand
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CYRANO, imperturbable.
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C'est tout ?...
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LE VICOMTE
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Mais...
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CYRANO
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Ah ! non ! c'est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire... Oh! Dieu!... bien des choses en somme.
En variant le ton,-par exemple, tenez:
Agressif: " Moi, Monsieur, si j'avais un tel nez,
Il faudrait sur-le-champ que je me l'amputasse ! "
Amical: " Mais il doit tremper dans votre tasse !
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap! "
Descriptif: " C'est un roc ! . .. c'est un pic ! . . . c'est un cap !
Que dis-je, c'est un cap ?. .. C'est une péninsule ! "
Curieux: " De quoi sert cette oblongue capsule ?
D'écritoire, Monsieur, ou de boite à ciseaux ? "
Gracieux: " Aimez-vous à ce point les oiseaux
Que paternellement vous vous préoccupâtes
De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? "
Truculent: " Ça, Monsieur, lorsque vous pétunez,
La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans qu'un voisin ne crie au feu de cheminée ? "
Prévenant: " Gardez-vous, votre tête entrainée
Par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! "
Tendre: " Faites-lui faire un petit parasol
De peur que sa couleur au soleil ne se fane ! "
Pédant: " L'animal seul, Monsieur, qu'Aristophane
Appelle Hippocampelephantocamelos
Dût avoir sous le front tant de chair sur tant d'os ! "
Cavalier: " Quoi, I'ami, ce croc est à la mode ?
Pour pendre son chapeau, c'est vraiment très commode! " ,
Emphatique: " Aucun vent ne peut, nez magistral,
T'enrhumer tout entier, excepté le mistral ! "
Dramatique: " C'est la Mer Rouge quand il saigne ! "
Admiratif: " Pour un parfumeur, quelle enseigne ! "
Lyrique: " Est-ce une conque, êtes-vous un triton ? "
Naïf: " Ce monument, quand le visite-t-on ? "
Respectueux: " Souffrez, Monsieur, qu'on vous salue,
C'est là ce qui s'appelle avoir pignon sur rue! "
Campagnard: " He, arde ! C'est-y un nez ? Nanain !
C'est queuqu'navet géant ou ben queuqu'melon nain ! "
Militaire: " Pointez contre cavalerie ! "
Pratique: " Voulez-vous le mettre en loterie ?
Assurément, Monsieur, ce sera le gros lot! "
Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot:
"Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître
A détruit l'harmonie! Il en rougit, le traître! "
-Voilà ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez dit
Si vous aviez un peu de lettres et d'esprit:
Mais d'esprit, ô le plus lamentable des êtres,
Vous n'en eûtes jamais un atome, et de lettres
Vous n'avez que les trois qui forment le mot: sot!
Eussiez-vous eu, d'ailleurs, I'invention qu'il faut
Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries,
Me servir toutes ces folles plaisanteries,
Que vous n'en eussiez pas articulé le quart
De la moitié du commencement d'une, car
Je me les sers moi-même, avec assez de verve
Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve.
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Je ne regrette rien
(version libre en español por Gabriela Marrón)
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No me arrepiento de nada.
De nada.
Ni del bien,
ni del mal que me hicieron.
Da igual.
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Está todo pagado
…………........….…..barrido
………………….............…….olvidado
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Me resbala el pasado.
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Alumbré con recuerdos el fuego
y hoy ya no preciso tampoco
aquellos placeres o penas
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Mis amores
………......…..barridos
.
y barrido el sonido de sus vibraciones
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para siempre
………........…barridos.
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Empiezo de nuevo
…………........……….de nuevo y de cero.
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No me arrepiento de nada.
De nada.
Ni del bien,
ni del mal que me hicieron.
Da igual.
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A mi vida,
…...............a mis alegrías
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las estreno hoy con vos.
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Je ne regrette rien / canción de Edith Piaf
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Non, rien de rien
Non, je ne regrette rien
Ni le bien qu'on m'a fait, ni le mal
Tout ca m'est bien égal
Non, rien de rien
Non, je ne regrette rien
C'est payé, balayé, oublié
Je me fous du passé
Avec mes souvenirs
J'ai allumé le feu
Mes chagrins, mes plaisirs
Je n'ai plus besoin d'eux
Balayés mes amours
Avec leurs trémolos
Balayés pour toujours
Je repars à zéro
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Non, rien de rien
Non, je ne regrette rien
Ni le bien qu'on m'a fait, ni le mal
Tout ca m'est bien égal
Non, rien de rien
Non, je ne regrette rien
Car ma vie
Car mes joies
Aujourd'hui
Ça commence avec toi...
El principito, XXI (Antoine de Saint-Exupéry)
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Fue entonces cuando apareció el zorro.
–Buenos días –dijo el zorro.
–Buenos días –respondió amablemente el principito, que se dio vuelta, pero no vio nada.
–Estoy acá –dijo la voz. –Abajo del manzano.
–¿Qué sos? –dijo el principito. –Sos muy bonito.
–Soy un zorro –dijo el zorro.
–Vení a jugar conmigo –le propuso el principito. –Estoy tan triste.
–No puedo jugar con vos –dijo el zorro. –No estoy domesticado.
–Ah, perdón –dijo el principito.
Pero después de reflexionar agregó:
–¿Qué quiere decir “domesticar”?
–No sos de acá –dijo el zorro. –¿Qué andás buscando?
–Busco a los hombres –dijo el principito. –¿Qué quiere decir “domesticar”?
–Los hombres –dijo el zorro. –Tienen fusiles y cazan. ¡Es muy molesto! También crían gallinas, es lo único que los vuelve interesantes. ¿Andás buscando gallinas?
–No –dijo el principito. –Busco amigos. ¿Qué quiere decir “domesticar”?
–Es algo muy olvidado –dijo el zorro. –Significa “crear lazos”.
–¿Crear lazos?
–Claro –dijo el zorro. –Vos todavía no sos para mí más que un nene parecido a cien mil nenes. No te necesito. Y vos tampoco me necesitás. Yo no soy para vos más que un zorro parecido a cien mil zorros. Pero si me domesticás, nos necesitaremos el uno al otro. Vas a ser para mí único en el mundo. Y yo voy a ser único en el mundo para vos.
–Empiezo a entender –dijo el principito. –Hay una flor… creo que me ha domesticado…
–Es posible –dijo el zorro. –En la Tierra se ven toda clase de cosas…
–No, no es en la Tierra –dijo el principito.
El zorro pareció muy intrigado:
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–Sí.
–¿Hay cazadores en ese planeta?
–No.
–¡Qué interesante! ¿Y gallinas?
–No.
–Nada es perfecto –suspiró el zorro.
Pero el zorro volvió a su idea:
–Mi vida es monótona. Yo cazo a las gallinas y los hombres me cazan a mí. Todas las gallinas se parecen, y todos los hombres se parecen. Entonces me aburro un poco. Pero si vos me domesticás, mi vida va a estar como soleada. Conoceré un rumor de pasos que será diferente a todos los otros. Esos otros me hacen esconder bajo tierra. El tuyo me llamará hacia fuera, como una música. Y además, mirá, ¿ves esos campos de trigo? Yo no como pan. El trigo es inútil para mí. Los campos con espigas no me recuerdan nada. Y eso es triste. Pero tu pelo tiene el color del oro. ¡Entonces cuando me hayas domesticado será maravilloso! El trigo, que es dorado, hará que me acuerde de vos. Y amaré el rumor del viento entre las espigas…
El zorro se calló y miró un largo rato al principito.
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–Me encantaría –respondió el principito. –Pero no tengo mucho tiempo. Tengo amigos que descubrir y muchas otras cosas que conocer.
–Sólo se conoce lo que se ha domesticado –dijo el zorro. –Los hombres ya no tienen tiempo para conocer nada. Compran las cosas ya hechas en los mercados. Pero como no existen mercados de amigos, los hombres ya no tienen amigos. Si querés un amigo, ¡domesticáme!
–¿Qué tengo que hacer? –dijo el principito.
–Tenés que tener mucha paciencia –respondió el zorro. –Primero te vas a sentar un poco lejos de mí, así, sobre el pasto. Te miraré de reojo y vos no dirás nada. El lenguaje es fuente de malentendidos. Pero podrás sentarte cada día un poco más cerca.
Al día siguiente, el principito volvió.
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–¿Qué es un rito? –dijo el principito.
–Es también algo bastante olvidado –dijo el zorro. –Es lo que hace a un día diferente a los otros días, a una hora de las otras horas. Hay un rito, por ejemplo, entre mis cazadores. Los jueves bailan con las chicas del pueblo. ¡Entonces el jueves es un día maravilloso! Paseo incluso hasta llegar a la viña. Si los cazadores bailaran en cualquier momento, los días serían todos parecidos y yo no tendría vacaciones.
Y así el principito domesticó al zorro. Y cuando se acercó la hora de irse:
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–Es culpa tuya –dijo el principito. –Yo no te quería hacer mal, pero vos quisiste que te domesticara.
–Claro –dijo el zorro.
–¡Pero vas a llorar! –dijo el principito.
–Claro –dijo el zorro.
–Entonces no ganás nada.
–Gano –dijo el zorro. –Por el color de las espigas.
Y después agregó:
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El principito se fue a ver otra vez las rosas:
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Y las rosas se sintieron muy molestas.
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Y regresó hasta el zorro.
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–Chau –dijo el zorro. –Este es mi secreto. Es muy simple. Sólo se ve bien con el corazón. Para los ojos, lo esencial es invisible.
–Para los ojos, lo esencial es invisible –repitió el principito para acordarse.
–Es el tiempo que perdiste por tu rosa lo que hace a tu rosa tan importante.
–Es el tiempo que perdí por mi rosa… –dijo el principito para acordarse.
–Los hombres han olvidado esta verdad –dijo el zorro. –Pero vos no tenés que olvidarla. Te volvés responsable para siempre de lo que domesticaste. Sos responsable de tu rosa.
–Soy responsable de mi rosa… –repitió el principito para acordarse.
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Le Petit Prince, XXI (Antoine de Saint-Exupéry)
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C'est alors qu'apparut le renard:
–Bonjour –répondit poliment le petit prince, qui se retourna mais ne vit rien.
–Je suis là –dit la voix. –Sous le pommier.
–Qui es-tu? –dit le petit prince. –Tu es bien joli...
–Je suis un renard –dit le renard.
–Viens jouer avec moi –lui proposa le petit prince. –Je suis tellement triste...
–Je ne puis pas jouer avec toi –dit le renard. –Je ne suis pas apprivoisé.
–Ah! pardon –dit le petit prince.
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–Qu'est-ce que signifie "apprivoiser"?
–Tu n'es pas d'ici –dit le renard. –Que cherches-tu ?
–Je cherche les hommes –dit le petit prince. –Qu'est-ce que signifie "apprivoiser"?
–Les homes –dit le renard. –Ils ont des fusils et ils chassent. C'est bien gênant! Ils élèvent aussi des poules. C'est leur seul intérêt. Tu cherches des poules?
–Non –dit le petit prince. –Je cherche des amis. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser"?
–C'est une chose trop oubliée –dit le renard. –Ça signifie "créer des liens..."
–Créer des liens?
–Bien sûr –dit le renard. –Tu n'es encore pour moi qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde...
–Je commence à comprendre –dit le petit prince. –Il y a une fleur... je crois qu'elle m'a apprivoisé...
–C'est possible –dit le renard. –On voit sur la Terre toutes sortes de choses...
–Oh! ce n'est pas sur la Terre –dit le petit prince.
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–Sur une autre planète?
–Oui.
–Il y a des chasseurs, sur cette planète-là?
–Non.
–Ça, c'est intéressant! Et des poules?
–Non.
–Rien n'est parfait –soupira le renard.
Mais le renard revint à son idée:
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Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince:
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–Je veux bien –répondit le petit prince. –Mais je n'ai pas beaucoup de temps. J'ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.
–On ne connaît que les choses que l'on apprivoise –dit le renard. –Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi!
–Que faut-il faire? –dit le petit prince.
–Il faut être très patient –répondit le renard. –Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près...
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–Il eût mieux valu revenir à la même heure –dit le renard. –Si tu viens, par exemple, à quatre heures de l'après-midi, dès trois heures je commencerai d'être heureux. Plus l'heure avancera, plus je me sentirai heureux. A quatre heures, déjà, je m'agiterai et m'inquiéterai; je découvrirai le prix du bonheur! Mais si tu viens n'importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m'habiller le cœur... Il faut des rites.
–Qu'est-ce qu'un rite? –dit le petit prince.
–C'est aussi quelque chose de trop oublié –dit le renard. –C'est ce qui fait qu'un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures. Il y a un rite, par exemple, chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi avec les filles du village. Alors le jeudi est jour merveilleux ! Je vais me promener jusqu'à la vigne. Si les chasseurs dansaient n'importe quand, les jours se ressembleraient tous, et je n'aurais point de vacances.
Ainsi le petit prince apprivoisa le renard. Et quand l'heure du départ fut proche:
–Ah! –dit le renard. –Je pleurerai.
–C'est ta faute –dit le petit prince. –Je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je t'apprivoise...
–Bien sûr –dit le renard.
–Mais tu vas pleurer! –dit le petit prince.
–Bien sûr –dit le renard.
–Alors tu n'y gagnes rien !
–J'y gagne –dit le renard. –À cause de la couleur du blé.
Puis il ajouta:
–Va revoir les roses. Tu comprendras que la tienne est unique au monde. Tu reviendras me dire adieu, et je te ferai cadeau d'un secret.
Le petit prince s'en fut revoir les roses:
–Vous n'êtes pas du tout semblables à ma rose, vous n'êtes rien encore –leur dit-il. –Personne ne vous a apprivoisé et vous n'avez apprivoisé personne. Vous êtes comme était mon renard. Ce n'était qu'un renard semblable à cent mille autres. Mais j'en ai fait mon ami, et il est maintenant unique au monde.
Et les roses étaient bien gênées.
–Vous êtes belles, mais vous êtes vides –leur dit-il encore. –On ne peut pas mourir pour vous. Bien sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire croirait qu'elle vous ressemble. Mais à elle seule elle est plus importante que vous toutes, puisque c'est elle que j'ai arrosée. Puisque c'est elle que j'ai mise sous globe. Puisque c'est elle que j'ai abritée par le paravent. Puisque c'est elle dont j'ai tué les chenilles (sauf les deux ou trois pour les papillons). Puisque c'est elle que j'ai écoutée se plaindre, ou se vanter, ou même quelquefois se taire. Puisque c'est ma rose.
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–Adieu –dit-il.
–Adieu –dit le renard. –Voici mon secret. Il est très simple: on ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux.
–L'essentiel est invisible pour les yeux –répéta le petit prince, afin de se souvenir.
–C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.
–C'est le temps que j'ai perdu pour ma rose... –dit le petit prince, afin de se souvenir.
–Les hommes ont oublié cette vérité –dit le renard. –Mais tu ne dois pas l'oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose...
–Je suis responsable de ma rose... –répéta le petit prince, afin de se souvenir.
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dijo W. BENJAMIN sobre las traducciones
"Así como el tono y la significación de las grandes obras literarias se modifican por completo con el paso de los siglos, también evoluciona la lengua materna del traductor. Es más: mientras la palabra del escritor sobrevive en el idioma de éste, la mejor traducción está destinada a diluirse una y otra vez en el desarrollo de su propia lengua y a perecer como consecuencia de esta evolución."
de Walter Benjamin, "La tarea del traductor", en Angelus Novus, trad. de H. A. Murena, Barcelona, Edhasa, 1971, pp. 127-143.
dijo BORGES sobre las traducciones
¿A qué pasar de un idioma a otro? Es sabido que el Martín Fierro empieza con estas rituales palabras: "Aquí me pongo a cantar - al compás de la vigüela." Traduzcamos con prolija literalidad: "En el mismo lugar donde me encuentro, estoy empezando a cantar con guitarra", y con altisonante perífrasis: "Aquí, en la fraternidad de mi guitarra, empiezo a cantar", y armemos luego una documentada polémica para averiguar cuál de las dos versiones es peor. La primera, ¡tan ridícula y cachacienta!, es casi literal.
Jorge Luis Borges, La Prensa, Buenos Aires, 1 de agosto de 1926.